Chine, 1644. Une dynastie étrangère d’origine Mandchoue, les Qing, prennent le pouvoir par la force, contre la dynastie alors régnante depuis le XIVème siècle, les Ming. Résigné, préférant sa fin à l’humiliation, le dernier empereur Ming, Chongzhen, alors au printemps de sa vie, se pend avec son intendant au cœur de la Cité interdite. En ces temps troubles, l’heure est aux armes, les derniers légitimistes Ming tentent la résistance, les productions artistiques diminuent pour donner vie aux productions martiales. Successeurs des Ming et suite à un bal des débutantes administratif, les Qing, au pouvoir, sont parvenus à incarner l’ordre publique, gérant et modernisant un empire tentaculaire, hérité des dynasties précédentes, en place depuis les Han (206 av. J.-C. 220 apr. J.-C.). De 1662 à 1795, trois empereurs successifs, Kangxi, Yongzheng et Qianlong, assurent au pays une stabilité remarquable. A maintes reprises, l’Histoire nous a montré que l’apaisement politique donne vie aux plus belles avancées artistiques.
Kangxi : renouement avec les arts multimillénaires chinois
C’est en effet l’empereur Kangxi (1662-1722), qui, par son éducation et son érudition, va encourager une production impériale, mêlant techniques innovantes et tradition. La légitimité politique de cette dynastie, venue de ces hostiles plaines du nord, doit passer par le surcroît d’hommages à la culture traditionnelle chinoise. Fils du Ciel mais de sang Mandchou, l’empereur doit alors imposer son autorité sur l’immense Empire du Milieu, et pour cela, il tient d’une main de fer le pouvoir politique de la beauté et de l’imaginaire collectif. Collectionneur d’antiquités, Kangxi s’imprègne de la lumière des trésors multimillénaires chinois. L’héritier céleste s’incombe alors la responsabilité d’inscrire la pérennité de la civilisation chinoise au cœur de la politique des Qing ; par exemple, en réformant les fours de Jindezhen (production de porcelaine), délaissés en même temps que la chute des Ming. Cet appel de la beauté éternelle est ce qu’il transmettra de plus mémorable à son fils Yongzheng (1722-1735), et surtout à son petit-fils favori, Qianlong (1735-1795).
Qianlong : une collection personnelle qui célèbre l’Histoire
Le jeune Qianlong est nourrit d’une éducation de lettré, maîtrisant autant l’art de la calligraphie que les poèmes Song. Grand amateur d’antiquités, protecteur de nombreuses académies artistiques, l’héritier du trône utilise une grande partie de son temps dans l’élaboration d’une collection à travers son « goût personnel » (Jeannette Shambaugh Elliot et David Shambaugh, The Odyssey of China’s Imperial Art Tresures, University of Washington Press, 2005). Qianlong ne se contente toutefois pas de contempler l’Histoire. A travers l’art et sa collection, il souhaite la célébrer, l’enrichir, et écrire son passage dans le monde terrestre. L’historien d’art Craig Clunas (Art in China, Oxford University Press ; 2e édition, 1997) parle d’une « appropriation esthétique » de l’empereur, à travers ses objets. Parmi les objets de son époque, dialoguant avec l’Histoire, nous en avons sélectionné trois pour vous les faire découvrir.
- Une tablette en jade gui issue de la culture de Longshan (2900-1900 avant J.-C.), gravée (à l’envers) des poèmes de Qianlong pour trois anniversaires, de son sceau, et augmentée d’un socle en bois. Cette pièce exceptionnelle est un objet rituel, qui, déposé dans la tombe de son propriétaire après sa mort, le faisait passer du monde terrestre au monde céleste.
- Une verseuse en forme de canard en émaux cloisonnés à fond jaune, inspirée des poteries Han (206 av. J.-C. 220 apr. J.-C.). Les formes d’objets antiques étaient étudiées pour être imitées avec les techniques les plus innovantes de l’époque.
- Un petit vase balustre en émail cloisonné à motif archaïsant de taotie. Le masque de taotie est un symbole archaïque que l’on retrouve sur les jades Néolithiques et sur les bronzes rituels de la dynastie Shang (1700-1050 av. N.-E.). Il représente une figure de glouton légendaire qui avale les mauvais esprits. Ce cloisonné est emblématique de la sensibilité archaïsante du règne de Qianlong, ardent collectionneur de bronzes antiques. La forme de vase balustre est caractéristique des pièces en porcelaine et en cloisonné de l’époque Qianlong.
Judith Mazerolle